Créée à Genève en 1996 en lien avec le Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 des difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 de l’eau, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 vers l’indemnisation du chômage des frontaliers, le numéro 6 axé sur l’idée d’une carte de résident frontalier, le suivant sur la mobilité durable en agglomération transfrontalière, le 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le 9 à la diversité des systèmes d’imposition des frontaliers, le 10 à la spécificité de la Suisse dans la comptabilisation des chômeurs, le 11 à la planification de transports durables en agglomération frontalière, le 12 à la contribution de la culture à une identité partagée, le 13 à l’importance croissante des phénomènes frontaliers, le 14 au rôle du sport dans les relations transfrontalières, le 15 à la démocratie en région transfrontalière, le 16 aux ressources forestières transfrontalières, le 17 aux associations de travailleurs frontaliers, le 18 à l’avenir de la mobilité en territoire transfrontalier, le 19 au « Grand Genève », le 20 à l’agriculture en région franco-genevoise, le 21 aux défis de la révolution industrielle 4.0, voici le 22 mettant en regard les expériences de Bâle et de Genève.
Les 16 et 17 octobre 2025 a eu lieu un événement peu médiatisé mais important : la venue à Genève d’une délégation bâloise et des cantons limitrophes ainsi que des régions voisines d’Alsace et d’Allemagne (Bade), tous curieux d’en savoir plus sur les relations transfrontalières telles qu’elles se passent chez nous. Il faut dire combien les deux expériences, de Bâle et de Genève, sont différentes bien que potentiellement complémentaires à plusieurs égards, et combien il est nécessaire de plus souvent se parler pour apprendre l’un de l’autre et développer des idées qu’on n’aurait pas spontanément tout seuls.
Des tensions à la coopération
Deux politologues de l’Université de Lausanne, Oscar Mazzoleni et Andrea Pilotti, dans un ouvrage collectif publié en 2023 sous le titre National Populism and Borders, ont identifié en Suisse l’existence de trois pôles bien distincts, concentrant les deux tiers des frontaliers du pays : Genève, le Tessin et Bâle (respectivement, suivant les statistiques officielles, 28% des frontaliers, 20% et 18%).
On remarque que « l’effet-frontière » ne se manifeste pas partout de la même manière. C’est ainsi que les chercheurs lausannois opposent deux modèles de relations : le type « coopératif » et le type « conflictuel ». À Bâle, écrivent-ils, les relations apparaissent de type coopératif, et les frontaliers sont globalement acceptés, voire même appréciés. À l’inverse, au Tessin, on se trouve, toujours selon nos auteurs, dans une situation absolument différente avec des relations nettement de type conflictuel, Genève offrant un visage un peu comparable.
Bâle : des initiatives économiques privées sont à l’origine
La Regio Basiliensis a réuni au départ en 1963, non des pouvoirs publics des deux côtés de la frontière comme à Genève, mais des entreprises, des centres de recherche, des chambres de commerce désireuses de surmonter les effets négatifs de la frontière. C’est une association privée de droit suisse. De l’autre côté a été créée une association comparable en 1965. Et de fil en aiguille, la coopération s’est développée dans l’espace du « Rhin supérieur » sous la responsabilité cette fois-ci des autorités publiques (cantons, Länder, régions et départements, État) des trois pays concernés. Sur un espace plus réduit autour de Bâle a été créé un « Eurodistrict trinational » en 2007. La Regio Basiliensis s’est, elle, vu confier la coordination des politiques transfrontalières des cantons des deux Bâle, d’Argovie, de Soleure et du Jura (selon un modèle qui inspira aussi l’Arc jurassien suisse où une association basée à La Chaux-de-Fonds coordonne les politiques transfrontalières de Berne. Jura, Neuchâtel et Vaud).
Quand on regarde qui est membre de la Regio Basiliensis (on rappelle qu’il s’agit d’une association privée), on voit du premier coup d’œil ce qui distingue cette expérience de ce qui se passe à Genève : l’aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg, l’Institut européen de l’Université de Bâle, l’Université de Mulhouse, des entreprises de la région comme Novartis ou Hoffmann-La Roche, des banques comme Julius Bär, Vontobel ou le Crédit Agricole next bank, la Chambre de commerce des deux-Bâle, les Chambres de commerce franco-suisse et germano-suisse, la compagnie d’assurance Helvetia, la chaîne de magasins Manor, et jusqu’au Zoo de Bâle !… Ce ne sont que quelques exemples, sélectionnés au hasard.
Genève : les pouvoirs publics, avec pour point de départ les frontaliers
La coopération transfrontalière a débuté sur la question des frontaliers, avec l’accord de rétrocession de 1973 aux communes françaises de résidence et la création du Comité régional franco-genevois qui s’en est suivi. Y siègent l’État français et les deux départements de l’Ain et de la Haute-Savoie, ainsi que les cantons de Genève et de Vaud. S’est ajouté en 2013 le projet d’agglomération dit du « Grand Genève ».
Tout tourne autour des pouvoirs publics, malgré des tentatives (dans le Forum d’agglomération) d’associer des acteurs de la « société civile ». L’économie privée reste en retrait et il n’y a pas d’équivalent à la Regio Basiliensis. Travailleurs frontaliers et mobilité, puis projet d’agglomération, sont au cœur de l’expérience genevoise et en délimitent forces et faiblesses.
Deux modèles ayant leur logique
Non que ces questions n’aient pas leur importance ailleurs. Ainsi les Bâlois nous envient le Léman Express fonctionnant 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 et les divers projets de tram et de « métro léger ». En revanche, les entrepreneurs genevois, à l’inverse de leurs collègues bâlois, créent très peu d’emplois de l’autre côté de la frontière et le phénomène frontalier (multiplié par 3 ces 20 dernières années) reste au cœur d’une problématique caractérisée par le fait qu’on crée à Genève des postes de travail sans pouvoir loger une partie significative des gens qui les occupent (un emploi sur quatre est occupé par un frontalier avec une concentration dans les secteurs de la santé, du commerce, des services et de la restauration).
A Bâle, il y a deux frontières, et peut-être cela contribue-t-il à éviter un tête-à-tête marqué par une relation de centre à périphérie dont on peine à gommer les défauts, comme le traduit bien l’appellation discutable de « Grand Genève ». À trois, il est en revanche nécessaire de s’accorder dès le départ, ce qui crée à la longue un climat assez différent. Ainsi, il n’y a pas de « Grand Bâle » mais un « Eurodistrict trinational » (lui-même composante d’une « Région Métropolitaine du Rhin Supérieur » de 6,3 millions d’habitants). Il repose sur une collaboration moins axée depuis l’origine sur les frontaliers, mais plus soucieuse de créer un espace de développement économique régional.
