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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 traitant du thème délicat de savoir qui indemnise les frontaliers au chômage, le numéro 6 axé sur l’idée de créer une carte de résident frontalier, le numéro 7 traitant de la mobilité durable en agglomération transfrontalière, ce numéro est consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 9 à la diversité des systèmes d’imposition directe des frontaliers, dans ce numéro 10 nous verrons que la Suisse – à son avantage – ne comptabilise pas les chômeurs de la même manière que ses voisins.

Envié de tous côtés, le plein-emploi de la Suisse fait figure d’exemple… et certains frontaliers pensent même qu’ils lui doivent peut-être leur situation. Mais c’est un trompe-l’œil. Nous allons voir pourquoi.

Quand les critères du taux de chômage ne sont pas les mêmes

En France, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) adopte, dans ses données du taux de chômage, les critères du Bureau international du travail (BIT) qui se trouve être basé à Genève, ce qui ne manque de saveur quand on va lire ce qui suit.

Le BIT au plan mondial (et donc l’INSEE en France) évalue le nombre de chômeurs en procédant par sondages auprès d’échantillons représentatifs de la population, et comptabilise comme chômeurs les personnes qui n’ont pas du tout travaillé durant la dernière semaine et qui se déclarent néanmoins disponibles pour prendre un emploi dans les deux semaines, qui ont effectué des recherches le mois précédent, ou bien qui ont trouvé quelque chose mais qui n’a pas encore commencé (il faut que le travail futur débute dans la période des trois mois qui suivent).

En revanche, les statistiques officielles du chômage en Suisse, qui sont produites par le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) ne comptabilisent que les personnes dûment inscrites dans les différents Offices régionaux de placement (ORP). Par rapport aux statistiques françaises de l’INSEE, et internationales du BIT, cela laisse évidemment de côté toutes celles qui ne sont pas inscrites comme demandeurs d’emploi, mais qui en cherchent néanmoins, plus ou moins activement, et qui seraient prêtes à en prendre un si elles en trouvaient à leur convenance. Dans cette catégorie se trouvent notamment les chômeurs en fin de droit.

La Suisse connaît évidemment les données du BIT, et on peut les trouver… non au SECO, mais à l’Office fédéral de la statistiques (OFS) qui en publie un relevé tous les trimestres concernant l’ensemble de la Confédération. Pourtant, ce sont bien celles du SECO qui sont considérées comme « officielles » et qu’on a pris pour habitude, dans le débat public, de citer. Or, il y a un écart significatif avec celles du BIT, adoptées par l’ensemble des États voisins, écart qui avantage la Suisse en comparaison internationale lorsque l’on cite les chiffres officiels du chômage dans ce pays, sans prendre garde qu’ils sont calculés sur une base différente et plus restrictive.

Du simple au double

Au printemps 2024, la France affichait un taux de chômage de 7,3%, l’Allemagne qui dans l’Hexagone est souvent citée comme modèle est à 3,2%, tandis que la Suisse, elle, affiche fièrement un 2,3%… mais calculé selon sa propre méthode, celle du SECO qui ne comptabilise que les inscrits.

En réalité, si l’on en croit les statistiques publiées tous les trois mois par l’OFS suivant la méthode du BIT (et de l’INSEE), la Suisse compte 4,2% de chômeurs en juin 2024, et non 2,3%.

Selon le SECO, le chiffre du chômage à Genève, en augmentation de 0,5% sur une année, ce qui est inquiétant, était de 4,3% en juillet 2024, à comparer avec les 3,6% affichés par le canton de Vaud, les 3,1% de Bâle-Ville, les 2,4% du Valais ou le 1,8% de Bâle-Campagne. En extrapolant les différences constatées nationalement entre les deux systèmes, cela donnerait un chômage à Genève d’environ 7,8%, mais si l’on en croit les statistiques cantonales publiées sur la base du BIT par l’Office statistique transfrontalier, il serait proche de 10%, chiffre supérieur à la moyenne française, et assez nettement au-dessus des chiffres des régions voisines de l’Ain et de la Haute-Savoie qui affichent respectivement des taux de 5,7% et 5,5%.

Les frontaliers sont-ils menacés ?

Arrivé à ce point, le frontalier qui lit ces lignes, bénéficiaire du dynamisme de l’économie genevoise créatrice d’emplois bien rémunérés, va peut-être commencer à trembler, en se disant que sa situation dépend d’un territoire où le taux de chômage est comparable à l’ensemble de la France, et même plus élevé que dans son département de résidence, alors qu’il sait que les procédures de licenciements sont en Suisse nettement plus faciles à engager que dans son pays natal.

Mais qu’il se rassure ! Le problème du chômage important à Genève n’est pas dû à une création noirement insuffisante d’emplois. Au contraire (et le frontalier est bien placé pour le savoir), Genève crée beaucoup d’emplois, plus qu’elle ne peut en pourvoir, ce qui fait que son économie a besoin en permanence d’une main d’œuvre extérieure.

Ce qui en revanche caractérise Genève, c’est un haut taux de chômage structurel, qui vient d’une relative inadéquation entre une partie de la population, insuffisamment formée ou mal spécialisée, et le type d’emplois, souvent très qualifiés, dont elle a besoin. Cet écart est notamment très grand dans certains secteurs (comme la santé) qui embauchent de très nombreux frontaliers. Mais Genève peine à prendre pleinement conscience de l’enjeu. Et plutôt que d’investir massivement dans la formation, ce qui est coûteux et ne produit des effets qu’à long terme, elle préfère, souvent sans vraiment se l’avouer, s’en remettre à la solution de facilité qui consiste à puiser dans le réservoir de personnels qualifiés formés aux frais du pays voisin. Le frontalier peut donc dormir tranquille !