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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, ce numéro 2 aborde les difficultés du secteur de la santé dans certaines zones frontalières de la Suisse, qui perdent une partie de leur personnel soignant attiré par les salaires et de meilleures conditions de travail.

Pourquoi la santé est-elle devenue patraque en Haute-Savoie et dans le Pays-de Gex ? En Haute-Savoie, il faut dire le secteur ne se porte pas bien depuis un certain nombre d’années. Et vient se greffer là-dessus l’effet négatif de la proximité avec Genève, qui aspire le personnel soignant de par l’attractivité des salaires et des conditions de travail. De son côté, le Pays-de-Gex est en train de devenir un désert médical, car trop longtemps y a perduré le modèle obsolète du “médecin de famille” alors qu’il aurait fallu se tourner vers la constitution de cabinets médicaux multidisciplinaires, seuls capables d’assurer la relève en attirant de jeunes médecins travaillant en équipe.

La santé mentale gravement touchée

Le secteur de la santé mentale est en déclin depuis de nombreuses années en Haute-Savoie. L’unité de Thonon a fermé pour être rapatriée à La Roche-sur-Foron où l’on a été obligé de fermer 100 lits, soit la moitié. En cas d’aggravation, cela poserait d’évidentes questions de sécurité publique s’inquiète-t-on en haut lieu ! Or, nombre de soignants partent aussi à cause de la désorganisation de l’hôpital, et l’unité de psychiatrie de Belle-Idée à Genève est attractive non seulement pour la rémunération qu’elle offre, mais aussi pour la qualité de sa prise en charge des patients.

En Savoie en revanche, l’hôpital psychiatrique de Bassens semble mieux organisé et d’une manière générale le Conseil départemental a joué un rôle actif et positif.

Globalement, le sujet n’a pas été politiquement empoigné parce que l’État, le département, les communautés de communes ont tendance à se renvoyer la balle.

Échanger les expériences pour trouver des solutions

Le même constat peut être fait dans d’autres secteurs comme la cancérologie. Et entre régions transfrontalières aussi, l’échange d’expériences est important pour dégager une vision globale.

Avec un peu de recul, On s’aperçoit que, si elle joue un rôle capital, l’attractivité des salaires n’est pas le seul phénomène à prendre en compte. Il y a aussi le nombre de postes et de malades dont il faut s’occuper, les conditions de travail qui dépendent du nombre de patients qu’un soignant doit avoir en charge, qui est presque trois fois plus élevé en France voisine qu’à Genève.

Si les HUG et les cliniques privées genevoises disent faire preuve d’une certaine modération dans les engagements, malgré leurs besoins, en parlant de quotas, le pourcentage de frontaliers reste énorme, globalement plus de la moitié du personnel médical. Beaucoup de soignants sont recrutés par des agences d’intérim privées qui ne s’en soucient pas. Et du côté français, lorsqu’on doit fermer des lits parce que du personnel bien formé saute la frontière, des soins ne sont pas donnés entraînant des manques à gagner et une sous-utilisation des équipements existants. D’autres régions frontalières en Suisse se trouvent confrontées au même type de problèmes.

Dans la Lombardie voisine du Tessin, on réfléchit depuis plusieurs années déjà à créer une prime pour le personnel soignant alimenté par un fonds spécial, qui permettrait d’augmenter leurs salaires d’environ 20 %. Mais on est loin du compte puisqu’il faudrait augmenter de 100% pour que le mécanisme soit attractif.

Un tel système n’a d’efficacité que dans la région allemande voisine de Bâle où il est pratiqué, car l’écart des salaires y est moins grand. Ailleurs, que ce soit à Genève, au Tessin et dans l’Arc jurassien, la réponse adéquate est plutôt de développer sur le moyen terme des efforts de formation suffisants des personnels soignants du côté suisse, et d’arriver à arrêter de s’en remettre à un si grand nombre de frontaliers pour pourvoir le secteur. Cela passe aussi par la valorisation de ces métiers qui n’est pas que financière, car les salaires suisses ne sont pas indécents si l’on considère l’utilité sociale de ces métiers ! La formation du personnel soignant devrait être au cœur de prochaines assises de la coopération transfrontalière car les mêmes mesures doivent prises de chaque côté.

L’attrait trop grand de Genève

C’est le sujet transfrontalier le plus difficile. Il n’y a pas lieu de culpabiliser des personnes ou des entreprises publiques ou privées, mais d’attendre de tous les acteurs une prise de conscience des conséquences de cette aggravation qui dure depuis des années provoquant une lourde déstabilisation régionale du secteur de la santé.      

Il est temps d’empoigner courageusement le problème.