Accueil  〉 Coopération européenne  〉 Effet-frontière  〉 Fiscalité des frontaliers : quel serait le meilleur système ?

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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 traitant du thème délicat de savoir qui indemnise les frontaliers au chômage, le numéro 6 axé sur l’idée de créer une carte de résident frontalier, le numéro 7 traitant de la mobilité durable en agglomération transfrontalière, ce numéro est consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, dans ce numéro 9 nous nous interrogeons sur les avantages et les inconvénients des systèmes d’imposition directe des frontaliers.

Curieusement, il n’y a pas de règle européenne en matière d’imposition directe des travailleurs frontaliers, alors que c’est le cas par exemple pour les indemnités chômage (voir notre numéro 5). La question est traitée par des accords bilatéraux qui sont loin d’être uniformes sur le pourtour de la Suisse. Ces différents systèmes ont leurs caractéristiques propres, qui comportent des avantages et des inconvénients que l’0n va essayer de mieux identifier.   

Autant d’accord bilatéraux, autant de systèmes

L’accord entre la Suisse et l’Allemagne, datant de 1971, prévoit un prélèvement à la source de 4,5 % sur le lieu de travail, avec ensuite paiement de l’impôt au lieu de résidence, la part de 4,5 % déjà payée étant décomptée. L’accord de 2007 entre la Suisse et l’Autriche prévoit un prélèvement à la source sur le lieu de travail, puis une compensation de 12,5 % de la somme perçue restituée à l’État de résidence. L’accord entre la Suisse et l’Italie, récemment révisé en 2020, est calqué sur le modèle allemand pour les nouveaux frontaliers à partir de l’année 2024, les autres continuant d’être taxés à la source tout en demeurant non imposables dans le pays de résidence.

Il n’y a pas moins de deux accords avec la France. Le premier, qui concerne uniquement le canton de Genève, prévoit depuis 1973 une taxation à la source, puis une restitution de 3,5% de la masse salariale brute aux communes et départements de résidence. Le second, qui concerne tous les autres cantons, instaure depuis 1983 un système rigoureusement inverse, puisque l’impôt est payé dans l’État de résidence, lequel rétrocède ensuite 4,5 % de la masse salariale brute au lieu de travail.

Meilleur système ?

Il n’y a pas de meilleur système dans l’absolu. Chacun présente des avantages et des inconvénients qui continuent d’être discutés, sachant que ce que les uns jugent satisfaisant ne sera pas forcément ce qu’apprécieront les autres. Mais on peut se mettre d’accord sur deux critères généraux : l’équité d’une part ; l’adéquation du système par rapport aux buts recherchés.

Tous ces dispositifs sont le fruit de conventions internationales négociées dans le détail. On peut donc penser qu’en règle générale, un minimum d’équité existe, ce qui n’empêche pas qu’il puisse y avoir des situations particulières où ce ne soit pas le cas. Mais l’équité ne peut pas s’apprécier uniquement sur le plan juridique, car il faut prendre en compte l’aspect économique des choses, marqué par d’énormes disparités de salaires, notamment vis-à-vis de la France et de l’Italie, avec l’effet d’aspirateur que cela enclenche, asséchant les régions voisines de leur main d’œuvre qualifiée au profit de la Suisse, un phénomène accentué depuis l’entrée en vigueur, en juin 2002, de l’accord de libre-circulation des personnes entre l’Union européenne et la Confédération. Enfin, il faut tenir compte de la dimension politique, c’est-à-dire de la manière dont on souhaite réguler le flux de frontaliers vers la Suisse.   

Comment mieux contrôler l’augmentation du nombre de frontaliers : l’exemple du Tessin

Sous la pression notamment des deux facteurs mentionnés (salaires et accord de libre-circulation), le nombre de frontaliers a ces vingt dernières années été multiplié par trois avec l’Italie et la France, et par deux avec l’Allemagne, entraînant des tensions notamment au Tessin où ils représentent un emploi sur trois, et dans une moindre mesure à Genève (un sur quatre).

Cela a amené la révision, en 2020, de l’accord de 1974 avec l’Italie en prévoyant qu’à partir de 2024, les nouveaux frontaliers, définis dans une zone de 20 km autour de la frontière, seront taxés aussi en Italie au barème italien. L’objectif est de parvenir à limiter le nombre de frontaliers, mais sans toutefois nuire à l’économie tessinoise qui a un besoin vital de cette main d’œuvre. Tout est donc une question de dosage. Les nouvelles dispositions n’étant entrées en vigueur qu’au 1er janvier 2024, il est trop tôt pour juger de leur efficacité par rapport au but recherché. Ce n’est qu’avec le recul que, vers 2030, on se rendra compte si l’on est allé trop loin, ou pas assez.

Comment être équitable avec les communes de résidence : l’exemple de Genève

La FEDRE a réalisé il y a quelques années une étude comparative des différents systèmes d’imposition des frontaliers de la Belgique à la Suisse, en passant par le Luxembourg et l’Allemagne. Elle a servi de base à un rapport, adopté en 2019 par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

Il en ressortait que le système mis en place autour de Genève est envié des autres communes françaises, ce que nous confirmait récemment Pascale Schmidiger, maire de Saint-Louis près de Bâle, car la rétrocession genevoise va aux communes de résidence ayant des charges additionnelles d’infrastructures, alors que dans le reste de l’arc jurassien où les frontaliers sont taxés en France, leurs impôts sont versés au budget de l’État central. Il subsiste néanmoins des débats franco-français sur la part dévolue aux communes par rapport à celle que reçoivent les départements de l’Ain et de la Haute-Savoie. Et à Genève, on souhaiterait parfois avoir l’assurance que les communes utilisent la rétrocession pour des dépenses vraiment liées au phénomène frontalier. Mais, quoique perfectible, l’accord fiscal de 1973 a résisté au temps et peut servir d’exemple de mécanisme répondant à un souci de juste partage des charges et des ressources de part et d’autre de la frontière.