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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 traitant du thème délicat de savoir qui indemnise les frontaliers au chômage, le numéro 6 axé sur l’idée de créer une carte de résident frontalier, ce numéro est consacré au développement de la mobilité en agglomération transfrontalière.

Selon le Larousse, le préfixe latin de trans exprime l’idée de changement et de traversée. Le « trans-frontalier » est ainsi consubstantiellement lié à l’idée de mobilité, matérialisée par le passage fréquent d’une frontière.

La mobilité en agglomération : une question spécifique

Sur le pourtour de la Suisse existent principalement deux agglomérations à cheval sur une ou deux frontières : l’euro district européen trinational de Bâle (nommé aussi 3Land) et le Grand Genève. Dans les agglomérations, par définition densément peuplées, avec des phénomènes pendulaires, la question se pose en d’autres termes que dans les zones où l’habitat est plus dispersé. C’est par ailleurs là que se concentrent les infrastructures de mobilité, selon un ordre de priorité dont pâtissent souvent les régions moins urbanisées.

Ainsi, le Léman Express, géré par la société Lémanis créée d’entente entre les CFF et la SNCF, est devenu une réalisation emblématique du Grand Genève. De même, dans l’euro district 3 Land, a-t-on développé toute une série de facilités, dont une plateforme tarifaire et d’horaires cadencés Triregio entre les transports de Suisse du nord-ouest (TNW) de Lörrach en Allemagne (RVL), de la SNCF et de la société Tram3 dans l’agglomération de Saint-Louis, avec différents projets de trams et RER (S-Bahn) et même la construction d’un nouveau pont sur le Rhin pour améliorer les liaisons. Pendant ce temps, le contraste dont nous avons parlé voit l’Arc jurassien suisse se désespérer de la fin (depuis mai 2023) des liaisons ferroviaires directes vers Genève pour les zones situées au-delà de Bienne, tandis que lorsqu’on quitte le Grand Genève pour aller en direction de Saint-Gingolph et du Valais, on ne peut que regretter l’absence d’un maillon ferroviaire complet au sud du Léman en rêvant, sans trop y croire, voir la mythique « ligne du Tonkin » un jour réhabilitée.

Succès donc en agglomération, bilan mitigé ailleurs. Mais le directeur général de Lémanis est formel : sur les 70’000 passagers qui montent chaque jour dans les rames qu’il gère (+ 20% de 2022 à 2023), seulement un quart sont des frontaliers. Ce qui domine, ce sont donc les trajets effectués de France à France (Thonon-Annemasse par exemple) ou de Suisse à Suisse (par exemple Coppet-Genève).

Cela signifie que la composante purement frontalière de la mobilité au sein du Grand Genève est très minoritaire, ce qui tend à la rapprocher d’une agglomération urbaine classique, sans présence d’une frontière, comme le Grand Lyon.

Gérer des impératifs parfois contradictoires

Dans une agglomération, plus les infrastructures facilitant la mobilité se développent, plus les personnes peuvent habiter loin de leur lieu de travail, avec des distances de transport qui augmentent. Cette tendance se vérifie partout à la longue. Et cela doit amener à s’interroger sur le style de vie que cela suppose, et notamment sa conformité par rapport aux objectifs environnementaux inscrits dans l’appareil législatif. Certes, trains et métros urbains, s’ils sont propulsés par des énergies alternatives, ont une empreinte carbone limitée, Mais que dire des trajets en voiture pour rejoindre la gare la plus proche, avec parfois des parkings-relais en nombre insuffisants, mal adaptés ou à tarifs non harmonisés, comme il y en a encore dans le Chablais français ? Et surtout, se pose la question de la construction de logements pour de plus en plus de gens. Or, la nouvelle législation française impose aux communes l’objectif écologique de « zéro artificialisation nette » des sols en 2050, avec comme étape intermédiaire une diminution de moitié d’ici 2031 des zones constructibles non compensées par des terres rendues à la nature.

Dans ce contexte, quelles conséquences imprévues pourrait-on voir apparaître dans des agglomérations transfrontalières comme le Grand Bâle (3Land) ou le Grand Genève ?… Peut-être un frein sur les constructions de logements et d’infrastructures, donc à terme moins d’augmentation du nombre de frontaliers ?… Ou bien alors, la nécessité pour ces derniers de se loger toujours plus loin, ce qui allongera les temps de transport et alourdira l’empreinte carbone ?

Il reste encore une dernière hypothèse qui n’est pas la moins probable, c’est que les communes françaises, sur lesquelles pèse aussi l’obligation de proposer 20-25% de logements sociaux lorsqu’elles ont plus de 3’500 h., fassent le choix de construire en hauteur. Ainsi verrait-on pousser des tours pour répondre à un impératif écologique, ce qui serait un vrai paradoxe !  

La mobilité n’est pas tout

Le succès des infrastructures de transport, notamment dans le Grand Genève, peut faire oublier un fait essentiel : la mobilité n’est pas tout. Ainsi, le prof. Vincent Kaufmann de l’EPFL nous rappelle que l’augmentation des déplacements et interactions entre les gens ne suffit pas, même si c’est un facteur favorable, à forger une identité régionale commune des deux côtés de la frontière.

Il faudrait parallèlement, selon lui, offrir à des élèves la possibilité de fréquenter des établissements scolaires de l’autre côté, enseigner l’histoire et la culture de la région, favoriser l’apprentissage des langues (région bâloise), promouvoir l’éclosion d’associations sportives, ainsi que d’événements et festivals transfrontaliers. Ainsi, adossée à une mobilité plus intense et à un développement des possibilités de contacts, une vraie région transfrontalière aurait des chances d’émerger. C’est, on le voit, un processus de moyen terme qui ne se réduit pas aux flux de travailleurs frontaliers ou à une ligne tram ou de RER.