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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 traitant du thème délicat de savoir qui indemnise les frontaliers au chômage, le numéro 6 axé sur l’idée de créer une carte de résident frontalier, le numéro 7 traitant de la mobilité durable en agglomération transfrontalière, ce numéro est consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 9 à la diversité des systèmes d’imposition directe des frontaliers, le numéro 10 à la différence entre la Suisse et ses voisins dans la comptabilisation des chômeurs, le numéro 11 à la planification d’infrastructures de transports durable en agglomération frontalière, le numéro 12 à la contribution de la culture dans la construction d’une identité transfrontalière commune, ce numéro 13 montre l’importance croissante des phénomènes frontaliers et la transformation du rôle des frontières.

Et si le Grand Genève ou l’Eurodistrict trinational de Bâle n’étaient en réalité que des éléments s’insérant dans des tendances plus vastes ? On peut et on doit se poser la question lorsqu’on sait que 35% des citoyens de l’Union européenne vivent dans des espaces frontaliers s’étendant sur 40% du territoire de l’UE. 20% de la population française vit près d’une frontière avec un autre pays. Et en Suisse ? C’est simple : les deux tiers des cantons suisses sont frontaliers. Tout cela incite sûrement à réfléchir…  

Fronts et frontières

Dans son livre Fronts et frontières (1991), le géographe Michel Foucher montre que la frontière a une étymologie commune et un imaginaire partagé avec la ligne de front – frontis en latin (génitif). Héritées de la construction de nombreux États au XIXe siècle, les frontières sont devenues décriées au XXe siècle, lorsqu’on a voulu, après la deuxième Guerre mondiale, rompre avec le nationalisme. On a fait en sorte – et dans une large mesure on y a réussi – que les frontières ne soient plus en Europe des lieux d’affrontements. On s’est appliqué à effacer les obstacles, notamment sur le plan économique. C’est ainsi que l’Union européenne s’emploie depuis 1957 à promouvoir entre ses États membres ce qu’elle appelle la libre circulation : des personnes, des biens, des capitaux, des services. La Suisse est aussi entraînée dans ce vaste mouvement.

Faut-il pour autant abolir complètement les frontières ? Certains, voulant défendre les migrants, le réclament à l’échelle du monde avec un mot d’ordre : « No borders ». De fait, les frontières politiques et administratives sont loin d’avoir disparu. Sûrement convient-il d’en estomper les aspects les plus négatifs, mais la frontière a ceci de positif qu’elle rappelle sans cesse à l’être humain, si porté à l’ignorer, la notion de limite. Limite de notre propre croissance dans un monde fini, prônée par le Club de Rome il y a 50 ans, lutte contre les excès menant aux dérèglements climatiques de nos jours. Il faut donc vivre avec les frontières et les limites, les apprivoiser mais non les abolir, passer de la frontière-rupture à la frontière-couture.

Avec tout de même un grand enjeu, hélas inhérent à la psyché humaine, que résume bien La Bruyère dans ses Caractères : « Le monde est plein de gens qui faisant intérieurement et par habitude la comparaison d’eux-mêmes avec les autres, décident toujours en faveur de leur propre mérite, et agissent conséquemment » (De l’homme, 70). Il ne sera certes pas facile de mieux contrôler ce sentiment de supériorité qu’on éprouve presque sans le vouloir à l’égard du voisin !   

Les défis d’aujourd’hui

Aujourd’hui, on essaie de promouvoir les idées de « bassins de vie transfrontaliers » basés sur les notions de solidarité, de réciprocité et d’équité dans ce que la FEDRE appelle un « juste partage ». C’est ce qui ressort des grandes assises européennes transfrontalières réunies les 2 et 3 décembre 2024 à Paris par la MOT (Mission Opérationnelle Transfrontalière), sous l’appellation « Borders Forum ».

Cette réunion au sommet a confirmé que les principaux enjeux peuvent s’énumérer ainsi : santé, solidarité financière, urbanisation, eau et environnement, transports et mobilité, culture et cohésion sociale. Dans tous ces domaines, il reste beaucoup à faire.

Certaines expériences, plus avancées, peuvent être utiles à d’autres, à condition d’être intelligemment déclinées. Ainsi la contribution genevoise aux communes et départements frontaliers, mécanisme qui remonte à 1973 et est bien antérieur au Grand Genève né en 2013, a été largement cité en exemple à Paris. Cela ne veut évidemment pas dire que des marges d’amélioration n’existent pas, mais on n’en est pas à la situation que vivent les régions voisines du Luxembourg qui n’a pris aucun engagement de rétrocession à leur égard.

Géométrie variable

Dépasser les frontières sans les abolir, cela doit aller de pair avec une vision des choses en termes de géométrie variable. Prenons un exemple très concret : le Grand Genève, situé sur l’axe de développement européen Rhin-Rhône reliant la Mer du Nord à la Méditerranée, est l’expression de l’urbanisation croissante de nos sociétés (qui n’est pas forcément un bien). Loin d’être un phénomène isolé, ainsi fait-il partie des quelque 37 agglomérations transfrontalières recensées actuellement en Europe. Celles-ci se caractérisent par des problèmes à résoudre qui sont de nature largement semblable : aménagement, logement, mobilité, services publics, gouvernance à inventer, environnement menacé, poches de pauvreté…

Et dans la région lémano-alpine, le Grand Genève est seulement une pièce, importante bien sûr, mais une pièce parmi d’autres, d’un puzzle plus large. Avoir une vision transfrontalière aujourd’hui, c’est ainsi être capable de faire fonctionner harmonieusement toutes ces pièces ensemble, sans concentrer l’attention sur certaines d’entre elles au détriment des autres. Le maître-mot doit être celui de complémentarité. C’est précisément dans ces synergies qu’une expérience comme le Grand Genève trouvera sa véritable voie. que dire du fait que le Conseil du Léman se soit détourné de la culture, obligeant le Grand Genève, dont c’était moins la vocation originelle, à faire plus dans ce domaine, mais sur un territoire plus exigu et avec des moyens plus limités ? Certaines orientations politiques sont décidément impénétrables !