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Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le Créée à Genève en 1996 dans l’orbite du Conseil de l’Europe, la FEDRE s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse dans divers domaines, dont certains échappent à l’attention du grand public. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 qui abordait les difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 qui présentait un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 traitant du thème délicat de savoir qui indemnise les frontaliers au chômage, le numéro 6 axé sur l’idée de créer une carte de résident frontalier, le numéro 7 traitant de la mobilité durable en agglomération transfrontalière, ce numéro est consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 9 à la diversité des systèmes d’imposition directe des frontaliers, le numéro 10 à la différence entre la Suisse et ses voisins dans la comptabilisation des chômeurs, le numéro 11 à la planification d’infrastructures de transports durable en agglomération frontalière, dans ce numéro 12, nous esquissons le vaste sujet du partage des cultures et des identités en région transfrontalière.

Il est souvent spontanément tenu pour acquis que les cultures et les comportements de part et d’autre d’une frontière sont si différents qu’il ne saurait y avoir véritablement de sentiment d’appartenance commune. Partons donc du point de vue réaliste que suggèrent les stéréotypes négatifs, ou simplement l’indifférence à l’égard du voisin, qui sont ce qu’on observe le plus fréquemment. Mais doit-on s’y résigner ? Faut-il considérer que les relations transfrontalières ne seraient jamais basées que sur des intérêts purement terre à terre, et sur rien d’autre ? Si l’on veut battre en brèche ce constat pessimiste, pourquoi alors ne pas regarder ce qu’il faudrait faire du côté de la culture, ferment d’identité partagée ?

Ne pas confondre culture et activités culturelles

Il y a culture et culture. Dans le langage courant comme dans celui qu’emploient les autorités politiques, administratives et les associations, culture est devenu de nos jours synonyme d’activités culturelles, voire de loisirs. La culture d’une région, ce serait ainsi la somme des spectacles, des festivals, des expositions qui s’y déroulent… En somme, la culture serait de la consommation de temps libre et se résumerait à ce qu’on trouve dans les agendas culturels de la ville, du canton, du département. Les toutes dernières Rencontres culturelles du Grand Genève, qui ont eu lieu à Châtelaine (Genève) le 29 novembre 2024, étaient largement sur cette ligne, avec la présentation de projets soutenus par le Fonds culturel du Grand Genève (créé en 2023 et doté de 200’000 €), l’implication des milieux culturels dans la transition écologique, sans oublier la mise sur orbite d’un agenda culturel transfrontalier (promis pour 2025) grâce à une plateforme Internet commune.

Or, si ces activités participent de la culture, elles ne la résument pas.

La culture, c’est l’intangible, ce qui ne se mesure pas aussi facilement que le nombre d’entrées à un spectacle ou dans un musée, ou le niveau d’échanges et de contacts qui peut exister entre acteurs culturels, même si tout cela a son importance. Car ce qui compte en dernière instance, ce sont les éléments susceptibles de créer un sentiment de fierté d’habiter la région, fût-ce en braquant les projecteurs sur son passé le plus prestigieux : c’est dans cette visée que la FEDRE souhaite qu‘on donne tout le lustre en 2028 au 250e anniversaire de la disparition, la même année, de Voltaire et de Rousseau.

Le rôle des activités culturelles

Si la culture ne se réduit pas aux activités culturelles, nul doute pourtant que ces dernières, à certaines conditions, peuvent jouer un rôle appréciable dans l’émergence d’une culture partagée au sein des régions transfrontalières. Ces conditions sont de meilleures synergies entre les acteurs et les systèmes, un lien avec le grand public et pas uniquement quelques élites, une dimension régionale et pas seulement globalisée des contenus culturels, etc…

Or, en allant au-delà des proclamations de bonnes intentions, si on considère la pratique telle qu’elle se dessine concrètement, ces conditions ne vont guère de soi. Ainsi, l’Université de Genève est clairement plus soucieuse de son rayonnement mondial et de son rang dans le classement de Shanghai que de son ancrage régional. Il en va de même de celle de Bâle, où l’on n’y a montré guère d’enthousiasme pour la création d’un master en études transfrontalières (qui ne s’est pas fait), à l’exemple pourtant de celui qui existe entre les Universités de la Wallonie, de Luxembourg, de la Sarre et de la Rhénanie-Palatinat. Et dans la région trinationale autour de Bâle-Mulhouse, on constate aussi un lent mais constant recul du bilinguisme au profit de l’apprentissage de l’anglais, langue de la globalisation. Ce sont des signes qui malheureusement ne trompent pas.

Il en va de la culture comme de l’écologie : il est important que les acteurs culturels accordent au moins autant d’attention à ce qui est proche qu’à ce qui est lointain. La proximité doit y redevenir une valeur, un principe gouvernant les esprits bien plus que ce qu’on constate parfois aujourd’hui.

Les deux sont utiles

Comme on pouvait s’y attendre, lors des Rencontres culturelles du Grand Genève le 29 novembre dernier, les formules lyriques ou métaphysiques ont fusé durant la présentation de la Déclaration commune : « concrétiser la communauté de destin », « construction d’une vision collective », « supplément d’âme », « part d’humanité essentielle à l’existence », enrobant des soucis plus au jour le jour, comme de développer et diversifier ce qu’on nomme « l’offre culturelle », promouvoir le covoiturage pour aller au spectacle, créer un fonds et un agenda culturels véritablement transfrontaliers… Les deux plans ont leur valeur, mais ne s’entremêlent pas toujours clairement.

Et que dire du fait que le Conseil du Léman se soit détourné de la culture, obligeant le Grand Genève, dont c’était moins la vocation originelle, à faire plus dans ce domaine, mais sur un territoire plus exigu et avec des moyens plus limités ? Certaines orientations politiques sont décidément impénétrables !