Quelles sont les menaces qui pèsent sur la haute montagne ? Comment la préserver ? Les bâtiments à énergie positive font-ils partie des solutions pour conduire une politique énergétique préservant l’environnement ?
C’est à 2500 m d’altitude, au sommet du Brévent, cœur du Diamant Alpin, que Claude Haegi, parrain de l’Observatoire Energies d’Entreprises et Président de la FEDRE, Fondation européenne pour le développement durable des régions, avait donné rendez-vous le 21 septembre dernier aux plus éminents experts, ingénieurs, architectes, spécialistes des fluides, glaciologues, pour évoquer ces question, face à un auditoire de professionnels venus nombreux.
Si on souhaite admirer des monts enneigés encore longtemps, il est urgent de produire moins de gaz à effet de serre. Or, l’un des moyens d’y parvenir est de construire des maisons, des villas, des entreprises, des théâtres… qui soient moins gourmands en énergie électrique et fossile. Et qui rejettent moins de CO2. C’est possible. Les technologies existent et s’adaptent aussi bien à des bâtis de l’extrême, comme au nouveau Refuge du Goûter situé à 3 835 mètres, qu’à des constructions plus courantes situées en plaine.
Coup de chaud en haute montagne
« Le milieu de haute montagne est particulièrement sensible aux variations climatiques », annonce le géomorphologue Ludovic Ravanel, chercheur associé au laboratoire EDYTEM CNRS à l’Université de Savoie. Les 2°C de hausse de température terrestre prévus d’ici à 20 ans s’observent déja en haute montagne. Le paysage a changé. « La présence de glace dans les fissures des rochers les faisait tenir en altitude. Depuis quelques années, cette glace fond et les rochers s’écroulent », remarque Ludovic Ravanel. Des forages ont permis de constater qu’entre 3 100 et 3 500 mètres, les roches dégelaient en surface chaque année et s’érodaient. Résultat : le terrain devient instable, les pylônes bougent de plus en plus, les avalanches et éboulements de terrain sont plus fréquents. Inquiétant. Sans compter les neiges éternelles qui ne le sont plus pour longtemps…
Il fut une époque où le Mont-Blanc était appelé mont Maudit par les habitants de la vallée de Chamonix, car après chaque hiver, la langue de ses glaciers était plus grande et se rapprochait des villages. Aujourd’hui, elle est révolue. Non seulement le toit de l’Europe rapetisse : de nouvelles mesures ont établi que le Mont-Blanc culminait désormais à 4 803 mètres contre 4 810 mètres en 2013. Mais les glaciers du massif se rétractent : 10 mètres d’épaisseur perdus depuis 2003. « Moins épais, les glaciers ne glissent plus autant et ne drainent plus les débris de la montagne », explique Luc Moreau, glaciologue, chargé de recherche au laboratoire EDYTEM CNRS de l’Université de Savoie. En conséquence, leur partie terminale s’amalgame aux débris et noircit. Le temps des beaux glaciers blancs est en voie d’extinction.
Le captage d’eau sous-glaciaire devenu difficile
Depuis les années 1960, EDF utilise l’eau de la fonte des neiges sous la Mer de Glace. Le principe est simple : il s’agit de récupérer l’eau qui ruisselle sous le glacier du Mont- Blanc pour l’acheminer vers une centrale de production hydraulique qui produit chaque année 115 millions de kWh, ce qui représente la consommation domestique de 50 000 habitants. « Au lieu d’avoir un barrage visible, on a un trou sous le glacier sans impact pour l’environnement », précise François-Régis Chevreau, chef de groupement Unité de production Alpes chez EDF. Mais le recul du glacier s‘est accéléré, menaçant le captage sous-glaciaire. En 2008, le creusement d’une galerie de dérivation du captage vers l’amont du glacier, sous 100 mètres de glace, dans des conditions difficiles liées à l’accès et à la glaciologie, a été entrepris. Entre 2008 et 2011, une solution transitoire a été mise en œuvre, avec le percement d’une galerie de quelques dizaines de mètres débouchant sous le glacier. Au printemps 2011, une nouvelle installation, qui permet à la France de faire une économie de plus de 100 000 tonnes de CO2 par rapport à une centrale au charbon, a été inaugurée. « Au total, on est remonté plus d’un kilomètre au-dessus du captage historique», souligne François-Régis Chevreau. Le retrait du glacier laisse toutefois augurer qu’il faudra sans doute monter plus haut encore dans un avenir pas si lointain.
le bon exemple de la Compagnie du Mont-Blanc
Le domaine du Mont-Blanc est un territoire qui attire chaque année des milliers de skieurs et d’alpinistes. « Pour qu’il continue à faire rêver avec ses cimes blanches et son air minéral, la Compagnie du Mont-Blanc, qui l’exploite, doit donner l’exemple », affirme Mathieu Dechavanne, PDG de la Compagnie du Mont-Blanc. De nombreuses actions sont entreprises pour produire moins de CO2 : développement de transports publics électriques à Chamonix, moins de remontées mécaniques dans le domaine skiable, mais mieux situées. Autre mesure : impliquer les professionnels du domaine skiable, notamment les dameurs, dans une réflexion sur la protection de l’environnement. Bref, les idées de la Compagnie du Mont-Blanc en faveur de l’environnement ne manquent pas : on peut citer encore le travail de nettoyage des montagnes (400 tonnes de déchets ramassés par an, 250 tonnes de vieilles ferrailles récupérées) et la sensibilisation des jeunes générations à la préservation des paysages, qui passe par celle de la faune et de la flore.
Un refuge au sommet à énergie positive
L’ascension du Mont-Blanc attire chaque année des milliers d’alpinistes. Jusqu’en 2013, beaucoup faisaient une halte à 3 817 mètres, dans l’ancien Refuge du Goûter qui était chauffé et où on cuisinait au charbon et qui rejetait ses eaux usées dans la montagne. Depuis 2013, ils peuvent s’arrêter dans le nouveau Refuge du Goûter, situé 200 mètres plus au sud, à 3 835 mètres, qui, avec ses 250 m2 de panneaux photovoltaïques, sa capacité à utiliser la neige pour ses besoins en eaux, sa capacité à recycler la chaleur et à traiter ses eaux usées constitue un magnifique exemple de Bepos. « Les caractéristiques du refuge, dues à son altitude (températures extérieures pouvant descendre jusqu’à – 30°C, rafales de vent pouvant dépasser les 300 km/h, absence d’eau à l’état liquide, 40 % de pression atmosphérique en moins et 40 % d’oxygène en moins par rapport au niveau de la mer), ont nécessité la mise en œuvre de solutions, dont plusieurs sont des premières mondiales », relève Pierre Stremsdoerfer, ingénieur fluides et énergies du Refuge du Goûter.
Il est venu le temps des bâtiments à énergie positive
Cependant, en plaine, les Bepos restent rares. Comment bousculer cet état de fait ? En nous mettant « à penser global mais à agir local », comme le suggère Thomas Büchi, concepteur du Refuge du Goûter et ingénieur bois. C’est-à- dire en étudiant un projet dans sa globalité, production de CO2 compris, et en réfléchissant à la manière de le réaliser avec des matériaux locaux de proximité, comme le bois indigène. Car à portance égale, il consomme 10 fois moins d’énergie grise que le béton ou l’acier. Et bien sûr, en misant sur les enveloppes des bâtiments (façades, fenêtres et murs) ayant des indices d’isolations très performants comme les façades actives bois/verre avec une épaisseur de seulement 25 cm. Aujourd’hui, villas, immeubles, théâtre, opéras, et bien-sûr bâtiments industriels peuvent se concevoir, voire se convertir, en Bepos.
Le boom des façades actives
Sachant que nous n’avons besoin que de 12 % de l’énergie qui nous parvient du soleil pour vivre confortablement, et même recharger la batterie de sa voiture électrique, la construction de bâtiments à énergie positive qui capteraient et stockeraient l’énergie solaire afin de devenir énergétiquement autonomes paraît une évidence. D’autant qu’il existe des technologies astucieuses pour capter l’énergie solaire : les façades dynamiques qui utilisent le rayonnement solaire pour limiter les déperditions thermiques et apporter de l’énergie au bâtiment. L’architecte suisse Giuseppe Fent, passionné par les Bepos depuis les années 1990, en a inventé trois sortes :
- La façade Lucido, en verre devant, et lames de bois derrière, qui absorbe la chaleur et favorise son accumulation dans des matériaux ad hoc,
- La façade Lucido +, en verre équipé de capteurs photovoltaïques,
- La façade Solino dont le fonctionnement est sophistiqué.
« On fait entrer la chaleur qui passe derrière la vitre dans un collecteur d’air chaud pour produire de l’eau chaude », explique Giuseppe Fent. Des solutions technologiques, il y en a. Reste à changer les réflexes de construction.
Des Bepos, oui, mais par intermittence
Pour Maxime Bousseaud, business developer Smartgrids & Smartcities chez ABB France (leader mondial dans les technologies d’énergie et d’automation), un Bepos ne doit pas être forcément un bâtiment qui ne consomme pas d’énergie, ni produit de CO2. « Car ce bâtiment coûte cher à la construction », remarque-t-il. « On peut aussi envisager un Bepos comme un bâtiment qui consomme peu d’énergie et produit peu de CO2. Il y a un équilibre à trouver ». Pour y parvenir, il suffit de connecter le bâtiment aux nouvelles technologies, notamment aux smartgrids. Cela permet d’établir une corrélation entre les usages, les besoins énergétiques et les ressources disponibles. Ainsi, peut-on raccorder un bâtiment au réseau électrique certains jours et le déconnecter du réseau pour le connecter au soleil certains autres jours. Mais pour que cette alternance soit possible, il est nécessaire que les habitants/usagers soient formés à une culture énergétique et qu’ils aient conscience de leur consommation énergétique. A suivre donc…