Ensemble, l’émission transfrontalière — Émission du 28.03.2024 20h10, diffusée sur Léman Bleu

Depuis plusieurs mois, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne cesse d’augmenter à Genève et en France voisine. 25’000 personnes doivent recourir à cette aide en Haute-Savoie. C’est 15’000 personnes côté genevois, via la distribution notamment de Colis du coeur.

Si la région est riche, la précarité ne cesse d’augmenter depuis la pandémie. Un effet frontière dont on discute avec l’ancien conseiller d’Etat et président de la FEDRE Claude Haegi, et les directeurs de Partage et de la Banque Alimentaire de la Haute-Savoie.

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Émission de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes diffusée le 23 mars 2024

« On ne peut pas vivre avec des îlots de pauvreté à proximité de la frontière ! », la précarité alimentaire explose autour de Genève

Ces derniers mois, les associations d’aide alimentaire de la frontière franco-suisse voient leur nombre de bénéficiaire se démultiplier. Une précarité record qui frappe dans les mêmes proportions le canton de Genève et le département de la Haute-Savoie.

Peu importe le côté où l’on se situe, la situation reste préoccupante. En Suisse et en France, la précarité alimentaire sévit de plus en plus aux abords de l’agglomération de Genève. Les fins de mois s’avèrent difficiles à boucler et de nombreux habitants ont recours aux dons des associations d’aide alimentaire.

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Claude Haegi : « Amis français, soyez ambitieux vis-à-vis de Genève » | Entretien paru dans le Dauphiné Libéré du dimanche 14 janvier 2024 | Propos recueillis par Sébastien Colson

L’ancien Conseiller d’État genevois de centre-droit Claude Haegi a lancé une étude sur l’effet-frontière, conscient que le modèle actuel de développement présente aussi des risques pour la cohésion sociale et la prospérité de la grande région franco-suisse. Avec des idées stimulantes…

Une première lettre d’information sur l’aide alimentaire et la pauvreté dans la région franco-genevoise. Une deuxième, sur la santé. L’ancien ministre genevois Claude Haegi, qui a siégé au Conseil d’État de 1989 à 1997, a lancé sous la houlette de la Fondation FEDRE (Fondation européenne pour l’économie et le développement durable des régions) une étude spécifique des relations transfrontalières tout autour de la Suisse en essayant de cerner “l’effet-frontière”. En attendant les résultats globaux, la genèse d’un projet que nous allons suivre de près…

D’où vient cette démarche ?

« L’an dernier, à l’occasion du 50e anniversaire de l’accord de rétrocession fiscale de Genève aux collectivités françaises voisines, j’ai ressenti le besoin de dépasser ce genre de célébration tournée vers le passé, pour faire une radiographie complète. Des dangers couvent. Des inégalités s’accentuent et nous mettons la poussière sous le tapis. Lors du récent 60e anniversaire de la Regio Basilensis où nous abordions les relations transfrontalières de toute la Suisse, j’ai constaté une nouvelle fois l’esprit constructif des trois partenaires français, allemand et suisse. Les Bâlois aiment les frontaliers. Des firmes pharmaceutiques ont investi dans des outils de production, ce qui permet aussi de s’ancrer dans l’Union Européenne. Avec François Saint- Ouen, secrétaire général de la Fondation, nous rassemblons des témoignages souvent inattendus. Pour susciter réactions et dialogue, nous diffusons des reflets de notre enquête que nous rassemblerons dans un document final. Seule une approche transparente et réaliste permettra d’avancer. Au salon des transfrontaliers, Pierre Maudet, ministre genevois de la santé, a eu un langage clair : “Les difficultés ne sont pas insurmontables, mais solidement compliquées”. C’est le bon ton pour trouver des solutions. »

Votre première lettre a été sur les inégalités…

« Oui. Et à la Banque alimentaire 74, ils ont été très surpris que comme acteur régional nous nous intéressions à un problème social. Les villes françaises proches de la frontière font partie des plus inégalitaires du pays. C’est là que l’on trouve les pourcentages de pauvreté les plus élevés ! On ne peut pas ignorer cette réalité : les prix s’y envolent et les salariés locaux ne peuvent pas suivre. La Banque alimentaire de Haute-Savoie aide 21’000 personnes pour 850’000 habitants, celle de Genève 14’000 pour 515’000 habitants, c’est la même proportion. Surprenant ! L’équité est un mot-clé. Et dans la région il y a des gens assez clairvoyants pour penser que cela représente de réels dangers sociaux ».

Quels sont les prochains thèmes que vous allez aborder ?

« Nous prenons systématiquement les sujets qui composent la vie quotidienne des habitants de la région en abordant les composantes du développement durable. L’économie, avec l’emploi et la formation, l’environnement avec la biodiversité, les filières du bois et de l’eau, la qualité de vie et le social d’une manière générale comprenant l’énorme question de la santé. Ne soyons pas qu’en réactivité ! Construisons ensemble, innovons et rééquilibrons le potentiel des deux côtés de la frontière. Le domaine de la culture s’y prête bien. Je rêve depuis longtemps d’un centre culturel sur territoire français qui ait l’attractivité d’une Fondation Gianadda à Martigny. Une adresse qui serait incontournable pour quelqu’un de passage. Amis français, soyez provocateurs vis-àvis de Genève avec des projets ambitieux ! Nous serons encore plus attractifs ensemble. Nous pourrons également nous inspirer de la Regio Basilensis avec son passe culturel et son cursus universitaire transfrontaliers. »

Claude Haegi : « Parlons de l’effet-frontière » | Chronique parue dans Entreprise romande du lundi 27 mai 2024

La Fondation pour l’Economie et le Développement durable des Régions d’Europe (FEDRE) créée à Genève en 1996 avec l’aide du Conseil de l’Europe a entamé, en partenariat avec le Crédit agricole next bank, une étude spécifique des relations transfrontalières tout autour de la Suisse en essayant de cerner ce qu’elle appelle «l’effet-frontière». Elle aborde tous les sujets, même les moins médiatisés, pour essayer de dresser un panorama complet. L’idée de ce projet a émergé l’année dernière, lors d’un colloque organisé à l’occasion du 50ème anniversaire de l’accord de rétrocession fiscale entre Genève et la France.

À l’origine, il s’agissait de mener un audit de ces relations, mais en concertation avec le Crédit agricole, nous avons jugé utile de couvrir l’ensemble du pourtour de la Suisse afin d’offrir des points de comparaison qui sont trop rarement mis à profit. Les sujets traités sont l’aide alimentaire, l’inquiétante montée de la pauvreté en région frontalière, la santé, l’eau et le Léman, la culture, le paiement des allocations chômage des frontaliers.

Seront prochainement étudiés, notamment, l’environnement, la mobilité, la recherche, les entreprises, les prix, l’immobilier et le logement, l’aménagement du territoire, la formation, les ressources. Il ne faut pas craindre d’affronter certains sujets délicats dont on ne parle pas assez. À Bâle, à Genève et dans l’Arc jurassien, la coopération transfrontalière a certes fait des progrès incontestables. Mais certaines réussites peuvent engendrer de nouveaux problèmes non anticipés. La FEDRE a mis un coup de projecteur sur l’augmentation de la pauvreté dans la région genevoise et à Genève même, alertée par la Fondation Partage et la Banque alimentaire de Haute-Savoie: quinze mille personnes dans le canton et vingt-cinq mille en Haute-Savoie, soit une proportion d’environ un habitant sur trente-cinq, dépendent de l’aide alimentaire. Les trois communautés de communes françaises autour de Genève sont, selon les statistiques officielles, devenues les plus inégalitaires de toute la France métropolitaine et de l’outre-mer! C’est une bombe sociale à nos portes.

De même, dans le domaine de la santé, la situation est devenue intenable: des soins ne sont plus donnés en France voisine faute de personnel, tandis qu’à Genève les HUG ont 50% de personnel frontalier, voire davantage dans le secteur privé. Qu’arrivera-t-il si la frontière doit fermer, comme cela a failli se produire lors de la pandémie? Il est nécessaire d’opérer des rééquilibrages en profondeur. Il ne faut pas se limiter à un seul territoire comme le Grand Genève, mais faire jouer la géométrie variable selon les problèmes à résoudre. Il faut ouvrir une nouvelle page des relations transfrontalières afin qu’elles bénéficient au plus grand nombre de personnes sans nuire au dynamisme économique qui est l’atout de la région. Tout cela réclamera beaucoup d’engagement de part et d’autre dans la recherche de solutions innovantes.

Mais cela en vaut la peine.