Créée à Genève en 1996 en lien avec le Conseil de l’Europe, la FEDRE www.fedre.org s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 des difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 présentant un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 affrontant le thème délicat de qui indemnise le chômage des frontaliers, le numéro 6 axé sur l’idée d’une carte de résident frontalier, le suivant analysant la mobilité durable en agglomération transfrontalière, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 9 à la diversité des systèmes d’imposition des frontaliers, le numéro 10 à la différence entre la Suisse et ses voisins dans la comptabilisation des chômeurs, le numéro 11 à la planification d’infrastructures de transports durables en agglomération frontalière, le numéro 12 à la contribution de la culture à une identité transfrontalière commune, le numéro 13 à l’importance croissante des phénomènes frontaliers, le numéro 14 au rôle du sport dans les relations transfrontalières, le numéro 15 à la démocratie en région transfrontalière, le numéro 16 aux ressources forestières transfrontalières, le numéro 17 aux associations de travailleurs frontaliers, nous consacrons ce numéro 18 à des réflexions sur l’avenir de la mobilité, notamment en territoire traversé par la frontière.
La mobilité est un sujet majeur de notre temps. On bouge et on aspire à bouger, mais avec une conscience accrue des limitations que cela entraîne, et avec un souci de plus en plus évident de le faire de façon durable en réduisant les dommages sur l’environnement et le climat. La Confédération suisse lançait le 19 mai 2025 un « Microrecensement mobilité et transports » destiné à recueillir des données sur les déplacements que réalisent les gens au cours d’une journée. Le même jour, par une heureuse coïncidence, la FEDRE et le Crédit Agricole next bank organisaient à Genève une conférence sur La mobilité de demain, suivie d’une table-ronde consacrée à cette question en zone frontalière.
Être visionnaire et désacraliser l’automobile
Les déplacements peuvent être conditionnés par le travail, les trajets scolaires, la nécessité de s’approvisionner ou de se soigner, ou bien par les loisirs. Ils concernent également les personnes dites “à mobilité réduite”. On souligne aujourd’hui l’importance de ce qu’on nomme l’intermodalité, c’est-à-dire la complémentarité des moyens de transport et les facultés d’en utiliser plusieurs (y compris la marche) sur un parcours donné, sans rupture ou attente démesurée.
Dans sa conférence du 19 mai, Daniel Goeudevert, bien qu’ancien Président de Volkswagen et ancien Président de Citroën, de Renault et de Ford pour l’Allemagne, a insisté sur la nécessité de remettre l’automobile à sa place : simple moyen de locomotion parmi d’autres, à rebours du marketing actuel qui la vend souvent comme un objet de prestige ou de rêve, voire comme un symbole de liberté (mais quelle liberté a-t-on quand on est coincé dans les bouchons ?).
Il faut aussi être visionnaire, et Goeudevert l’a été lorsqu’il y a il y a plus de trente ans, il concevait déjà, avec Nicolas Hayek (inventeur de la Swatch et de la Smart) un prototype de voiture électrique urbaine. Mais à l’époque les esprits n’étaient pas prêts, notamment les ingénieurs de VW et les partenaires financiers. Résultat : l’Europe laissa le champ libre aux Chinois et aux Américains. Il ne parvint pas non plus à convaincre le Salon de l’Automobile de Genève de se transformer en Salon de la Mobilité, ce qui l’aurait peut-être sauvé.
La mobilité en territoire transfrontalier
Comment favoriser la mobilité sur un territoire coupé par une frontière qui reste un obstacle qu’on ne rencontre pas dans les agglomérations traditionnelles ?
David Favre, directeur cantonal des transports, insiste sur le fait que Genève, avec 660’000 passages de frontière par jour, a un déficit d’infrastructures qu’il faudrait « rattraper », notamment en complétant l’offre du Léman Express par un métro-train léger prévu pour transporter 160’000 personnes par jour à l’horizon 2040. Mais il ne s’agit pas seulement de rattraper, rétorque Claude Haegi, Président de la FEDRE : il faut voir plus loin et être capable, à l’exemple de Goeudevert, de dessiner l’avenir tout en étant soucieux de garder une agglomération à échelle humaine. Sabrina Cohen, présidente de la Fondation Nomads, va dans ce sens et souhaite qu’on aborde la question de façon systémique : repenser toute la mobilité et favoriser le multimodal en développant ce qu’elle appelle des « pôles de micromobilité » par exemple aux arrêts de bus où l’on pourrait installer des stations de vélos, et pouvoir couvrir en véhicules partagés la plupart des trajets allant d’un point A à un point B.
Christophe Castaner, président de l’ATMB et ancien ministre de l’Intérieur, invite lui aussi à « déconstruire » le rapport à la voiture. Soulignant l’engagement de l’ATMB en faveur du co-voiturage et de l’environnement, il plaide pour qu’on puisse se déplacer dans la région transfrontalière « de manière multimodale » avec « un seul titre de transport » et suffisamment de parkings-relais. Claude Haegi rappelle par ailleurs que 41% du contournement de Genève a été réalisé sur territoire français et payé par la France, évitant de détruire de précieuses zones agricoles du canton de Genève.
Directeur du Léman Express, Mathieu Fleury s’était assigné l’objectif de donner envie de se déplacer en train plutôt qu’en voiture. Le succès a dépassé les attentes ! Contrairement à ce qu’on entend parfois, il souligne que le Léman Express n’a pas été créé « pour les frontaliers » mais pour tout le monde, et que le trafic frontalier n’y représente que 25%, les trois quarts restants étant des trajets Suisse-Suisse et France-France. Le but aujourd’hui est d’augmenter la fréquence pour la rapprocher de ce que pourrait offrir un métro, ce qui nécessite d’acquérir du matériel supplémentaire. L’idée est qu’on puisse arriver en gare « sans avoir le souci de vérifier l’horaire au préalable ». Le succès du Léman Express montre bien qu’il se dessine un désir de mobilité différente, renchérit Vincent Scattolin, maire de Divonne et vice-président de l’agglomération du Pays de Gex. Mais ses lignes ignorent pour le moment le Pays de Gex. À terme, il faudrait selon lui faire en sorte que tous les territoires soient bien desservis de la même manière, en ne tenant pas seulement compte des trajets domicile-travail. Il plaide lui aussi pour une offre crédible de possibilités de déplacement hors-voiture.
En conclusion, tous ont souhaité qu’on se rappelle du 19 mai 2025 comme d’une date-clé dans la réflexion sur la mobilité en région franco-valdo-genevoise.