Une année d’étude de “l’effet-frontière” sur le pourtour de la Suisse a conduit la FEDRE à formuler les 10 propositions suivantes. Il s’agit de pistes de réflexion que la FEDRE va tester, affiner, compléter, corriger et préciser dans les mois à venir.
1. Utilisation d’une part de la rétrocession fiscale genevoise pour alimenter un fonds en faveur du personnel médical français
Proposition : bloquer les montants de l’impôt perçu à Genève sur les frontaliers aux compteurs 2023 (grosso modo 1 milliard, avec CHF 350 et 750 millions respectivement pour la France et Genève) et allouer le surplus probable des années à venir (en raison de l’augmentation régulière du nombre de frontaliers) à ce fonds.
2. Culture : événement majeur autour des valeurs européennes
Viser l’année 2028, qui sera celle du 250e anniversaire de Voltaire et de Rousseau, pour concevoir entre Coppet-Genève-Ferney-Annemasse un événement de portée européenne et de retentissement international de célébration des valeurs fondamentales qui ont été développées dans ce périmètre et transcendant les frontières : démocratie, tolérance, égalité, laïcité, volonté générale, contrat social, etc…
3. Mobilité : complémentarités, intermodalités, géométrie variable
Se référant à nos divers entretiens, il faudrait diffuser plus efficacement l’information et organiser des occasions d’échanges entre tous les acteurs des différentes mobilités de la région genevoise pour dégager une vue d’ensemble qui manque aujourd’hui, chacun ne travaillant que sur le périmètre géographique ou le mode de transport qui l’intéresse directement. Les perspectives de réouverture de la ligne du Tonkin, chaînon manquant de la mobilité autour du Léman, seront approfondies.
4. Carte de de sécurité sociale frontalière
Approfondir la proposition de la MOT (France) d’une carte de sécurité sociale transfrontière pour les résidents d’une zone déterminée. Elle serait délivrée avec un justificatif de domicile et donnerait accès aux hôpitaux, cliniques et soins ambulatoires des deux côtés de la frontière. À ce stade, la MOT (Mission Opérationnelle Transfrontalière) envisage que le remboursement se fasse au tarif français et que le surcoût éventuel soit automatiquement envoyé à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et à la complémentaire santé du frontalier. Il faudrait agir en concertation entre les systèmes de couverture sociale et les caisses maladies, et notamment résoudre la question du différentiel de coûts des soins entre la France et la Suisse.
5. Carte de résident de l’agglomération du Grand Genève ou de l’Eurodistrict de Bâle
À l’exemple de la Züri City Card en Ville de Zurich, elle donnerait un accès préférentiel à divers services publics, musées, expositions, festivals, associations sportives, événements culturels ou festifs qui contribuent à un « vivre ensemble » commun, créant peu à peu les conditions d’une identité partagée. L’expérience de Zürich enrichirait la réflexion par rapport à ce qui pourrait être transposé aux agglomérations transfrontalières de Genève et de Bâle, ainsi que la carte francilienne dans le domaine des transports et de la culture. Il faudrait que la future carte offre des services ou rabais particuliers aux jeunes, aux pauvres, aux chômeurs.
6. Santé
Créer un fonds de solidarité avec le personnel soignant français ou italien rémunéré en €, soit en développant le modèle actuellement poursuivi au Tessin d’une taxe additionnelles payée par les frontaliers, soit en utilisant le modèle décrit ci-dessus pour la rétrocession fiscale genevoise. Il faudrait aussi élaborer une cartographie des ressources médicales dans la région en tenant compte des distances à parcourir et des spécialités proposées par les différents établissements de soin, avec pour objectif d’optimiser le confort du patient, sans négliger les obstacles notamment en termes d’assurances. Explorer également la possibilité pour que des personnes âgées suisses puissent être accueillies plus largement dans les équivalents des EMS en France, en Allemagne et en Italie.
7. Indemnités chômage des frontaliers
Le fait qu’un Règlement européen en donne la charge à l’État de résidence ne doit pas empêcher de discuter de la possibilité pour la Suisse de contribuer plus au paiement des indemnités chômage des frontaliers, ceci sur une base volontaire et dans un souci d’équité, étant donné que les cotisations d’assurance chômage ont été payées en Suisse par les frontaliers.
8. Accord de libre-circulation des personnes entre la Suisse et l’UE
Parvenir à trouver des mécanismes de régulation (par exemple des quotas maxima de travailleurs frontaliers, régulièrement révisés, ou par une clause de sauvegarde comme il en existe dans l’accord de Schengen) pour adapter cet accord aux réalités frontalières, étant donné l’effet qui a eu depuis son entrée en vigueur en 2002 dans l’augmentation très rapide des travailleurs frontaliers venus d’un peu partout, notamment au Tessin, à Genève et à Bâle.
9. Environnement : eau, air, sols, forêts, paysages
Garantir la circulation transfrontalière de l’eau suivant les bassins versants de la région lémanique, sans entraves ni conditions concernant son utilisation en aval. Garantir la qualité de l’air et des sols dans les agglomérations transfrontalières qui se densifient. Définir une territorialité des ressources forestières en fonction des besoins les plus proches plutôt que de systématiquement privilégier le bois de provenance nationale (parfois plus éloigné). Reposer le problème des carrières du Salève, dont la concession s’arrête en 2033 mais dont la prolongation s’annonce déjà, et en tenant compte également de l’évolution prévisible des matériaux de constructions dans les années à venir.
10. Social
Prendre en compte comme index de répartition des ressources au titre de la contribution financière genevoise (CFG), non seulement le nombre de frontaliers par commune, mais aussi le nombre de gens en dessous du seuil de pauvreté, avec des sommes qui seraient réservées aux communes ayant le plus de personnes en dessous de ce seuil pour leur continuer, par exemple, de leur permettre de se loger dans la région. Suivre aussi l’évolution des taux de pauvreté à Genève. Ce qui en revanche caractérise Genève, c’est un haut taux de chômage structurel, qui vient d’une relative inadéquation entre une partie de la population, insuffisamment formée ou mal spécialisée, et le type d’emplois, souvent très qualifiés, dont elle a besoin. Cet écart est notamment très grand dans certains secteurs (comme la santé) qui embauchent de très nombreux frontaliers. Mais Genève peine à prendre pleinement conscience de l’enjeu. Et plutôt que d’investir massivement dans la formation, ce qui est coûteux et ne produit des effets qu’à long terme, elle préfère, souvent sans vraiment se l’avouer, s’en remettre à la solution de facilité qui consiste à puiser dans le réservoir de personnels qualifiés formés aux frais du pays voisin. Le frontalier peut donc dormir tranquille !