Créée à Genève en 1996 en lien avec le Conseil de l’Europe, la FEDRE www.fedre.org s’intéresse depuis toujours aux régions transfrontalières. En 2023, elle a noué un partenariat avec le Crédit Agricole next bank pour étudier l’effet-frontière sur le pourtour de la Suisse. Après le numéro 1 qui traitait de l’aide alimentaire, le numéro 2 des difficultés du secteur de la santé, le numéro 3 présentant un sujet vital pour nos régions – l’eau –, le numéro 4 tourné vers la culture, le numéro 5 affrontant le thème délicat de qui indemnise le chômage des frontaliers, le numéro 6 axé sur l’idée d’une carte de résident frontalier, le suivant analysant la mobilité durable en agglomération transfrontalière, le numéro 8 consacré aux aspects européens des coopérations transfrontalières, le numéro 9 à la diversité des systèmes d’imposition des frontaliers, le numéro 10 à la différence entre la Suisse et ses voisins dans la comptabilisation des chômeurs, le numéro 11 à la planification d’infrastructures de transports durables en agglomération frontalière, le numéro 12 à la contribution de la culture à une identité transfrontalière commune, le numéro 13 à l’importance croissante des phénomènes frontaliers et à la transformation du rôle des frontières, le numéro 14 au rôle du sport dans les relations transfrontalières, le numéro 15 à la démocratie en région transfrontalière, voici le numéro 16 consacré aux ressources forestières transfrontalières.
Tout comme l’eau (Infolettre 3) dont ils se nourrissent et qu’ils protègent de la chaleur et de la sécheresse, les arbres ignorent les frontières. Composantes essentielles de nos régions et facteurs puissants d’une économie durable, l’eau et les forêts subissent tous deux les aléas des changements climatiques. Les ressources forestières doivent aussi entrer plus nettement dans les schémas d’une économie transfrontalière orientée vers les circuits courts. Des évolutions en ce sens commencent à émerger. Voyons quelques exemples…
Le Grand Genève y réfléchit…
La Vision Territoriale Transfrontalière à l’horizon 2050 de l’agglomération dite du « Grand Genève » (2’000 km2) consacre quelques paragraphes aux ressources forestières mais n’entre pas dans le détail malgré quelques constats intéressants, comme de dire que les espaces boisés « couvent en moyenne 42% du bassin versant », avec toutefois « une emprise limitée à 10% au cœur de l’agglomération » elle-même.
On y trouve également cette idée, stimulante mais encore dépourvue de plan d’action permettant de la réaliser : « les surfaces périphériques, surtout celles en altitude, sont occupées par des résineux aptes à fournir une grande quantité de bois d’œuvre qui pourrait permettre la construction de la moitié (sic) des logements nécessaires à Genève » (Rapport principal, p. 53). On le voit, les formules employées dans le texte se situent encore au seul niveau du constat, sans que se dessinent d’intention claire ni de stratégie de réalisation un tant soit peu élaborée. Cela viendra sûrement…
… l’Arc jurassien s’y est mis
La forêt de l’Arc jurassien couvre une superficie de 8’650 km2, soit 40% de l’ensemble du territoire concerné. Son volume estimé est de l’ordre de 270 millions m3. On apprend peu à peu à la gérer d’une manière transfrontalière qui pourrait être utile ailleurs, que ce soit à Genève ou à Bâle qui se trouvent à ses deux extrémités, ce qui justifierait que l’on développe des échanges d’expériences mutuellement bénéfiques.
La filière au sens large représente 24’500 emplois (10’200 pour le cœur de la filière), répartis dans les domaines de la sylviculture, du sciage, de la fabrication de charpente, d’emballage, de panneaux ou d’objets, dans l’industrie du papier et carton et dans la construction. Toutes ces activités impliquent environ 6’700 entreprises, dont la quasi-totalité (92 %) emploie moins de 10 personnes. Une étude sur la filière forêt-bois publiée en janvier 2025 par l’Office statistique transfrontalier de l’Arc jurassien (OSTAJ) fait état de près de 4 millions m3 récoltés chaque année, principalement des résineux, dont 1 million m3 est traité par les entreprises locales, à raison de 2/3 du côté français et d’1/3 du côté suisse où les unités sont plus petites.
L’Arc jurassien franco-suisse, dont les institutions binationales remontent à 1985, organise périodiquement des ateliers d’acteurs de la filière forêt-bois pour discuter de réponses à apporter à l’impact des changements climatiques sur les différentes espèces d’arbres, et par conséquent sur l’économie du secteur. Il faudra notamment songer à planter de nouvelles espèces, en plaine comme en altitude, pour anticiper l’évolution des températures. Il s’agit également de réfléchir aux moyens de sensibiliser le grand public à ces enjeux et évolutions. Les deux derniers ateliers de ce type ont eu lieu en novembre 2023 dans le département français du Jura, puis en juin 2024 dans le Val-de-Ruz (canton de Neuchâtel) côté suisse.
Ne pas négliger les ressources transfrontalières
Dans aucun domaine, le transfrontalier n’est certes une solution-miracle qui réglera comme par enchantement tous les problèmes ! Il faut toutefois se garder de le négliger au profit de solutions plus classiques, qui dans certaines circonstances peuvent s’avérer moins rationnelles. Prenons l’exemple du label Bois Suisse, une certification d’origine créée en 2019 garantissant pour le bois récolté qu’il provient d’une gestion durable des forêts, qu’il comporte un suivi de la qualité et le maintien de places de travail régionales, et enfin qu’on a veillé à limiter les distances et les charges environnementales de transport.
Tout ceci est louable, doit être encouragé, mais aussi gagne à être adapté aux différents contextes. Quand une scierie opère près d’une frontière, à Genève ou dans le Jura vaudois par exemple, est-ce rationnel qu’elle privilégie systématiquement un bois suisse pouvant venir de l’autre côté du pays (Grisons ou Saint-Gall) plutôt que le bois qu’on pourrait trouver en quantité suffisante juste de l’autre côté de la frontière, à quelques kilomètres ? Le développement durable et la lutte contre le réchauffement climatique ne s’en porteraient pas plus mal, et cela plaide pour des choix raisonnables tenant compte plus nettement des situations géographiques, en n’oubliant pas que 2/3 des cantons suisses sont limitrophes d’une frontière.